La pratique sage-femme autochtone comme soins relationnels (Cheryllee Bourgeois and Call Auntie)
Cheryllee Bourgeois, sage-femme métisse de la rivière Rouge et cofondatrice de la clinique Call Auntie à Toronto, en Ontario, croit fermement que la pratique sage-femme autochtone peut transformer les soins de santé offerts aux personnes qui ont été exclues ou lésées par le système de santé conventionnel. « Le métier de sage-femme autochtone nous amène à porter un regard critique sur nos soins et à les rendre accessibles aux personnes les plus vulnérables ou à celles qui ont le moins de contacts avec le système de santé », explique-t-elle.
Ce principe directeur a inspiré le travail de Cheryllee et de ses collègues de Seventh Generation Midwives à Toronto. Pendant plus de dix ans, elles ont testé différentes méthodes pour bâtir la confiance avec les communautés et développer des relations avec des organismes et des prestataires de soins partageant les mêmes idées. Ces efforts à long terme ont jeté les bases de Call Auntie, un modèle de soins communautaires autochtones mis sur pied pendant la COVID-19.
Cheryllee Bourgeois
Call Auntie fournit des soins complets qui vont bien au-delà de la période périnatale : services de santé sexuelle et reproductive tout au long de la vie, aide en santé mentale, appui aux familles impliquées avec les services de protection de l’enfance, aide au logement et mise en relation avec les services sociaux. La clinique offre également des services de santé complémentaires tels que la vaccination, qui est bénéfique tant pour les bébés que pour les familles. « Lorsqu’un bébé et sa mère viennent à un rendez-vous accompagnés de leur tante, je peux proposer la vaccination du bébé, puis me tourner vers la tante et lui demander si ses vaccins sont à jour,
Cette approche ne se limite pas à diriger les gens vers des soins hospitaliers ou des spécialistes. Pour Cheryllee, le rôle des sages-femmes autochtones est de créer une passerelle pour les personnes qui n’ont peut-être jamais obtenu de soins sécuritaires respectant leur dignité. « Ce qui compte, c’est de gagner la confiance des personnes et de leur montrer qu’elles méritent d’être soignées », explique-t-elle. Le modèle de pratique sage-femme qu’elle exerce crée des conditions propices à la guérison non seulement physique, mais aussi émotionnelle et spirituelle.
« Parfois, le seul soin dont on a besoin, c’est de se rendre sur place et de sentir que quelqu’un nous écoute – c’est ce qui rend tout le reste possible. »
Cheryllee Bourgeois
« J’ai une cliente qui est arrivée très tard dans sa grossesse et qui n’avait reçu aucun soin prénatal », raconte Cheryllee. « À la première visite, j’ai simplement écouté son histoire, puis nous avons parlé et commencé à faire un plan. Je lui ai proposé d’écouter les battements de cœur du bébé et elle a dit non, que ce sera pour une prochaine fois. Mais cette seule conversation, et le temps que nous avons passé à bâtir une confiance et à planifier ensemble, ont suffi pour qu’elle accepte de revenir. À la visite suivante, j’ai pu mesurer sa pression artérielle, écouter le cœur du bébé et commencer les soins cliniques. »
Cette expérience montre l’importance de commencer par une relation de confiance. « Parfois, le seul soin dont on a besoin, c’est de se rendre sur place et de sentir que quelqu’un nous écoute – c’est ce qui rend tout le reste possible. »
Ce modèle relationnel de soins reconnaît que la santé n’est pas une poursuite individuelle. Elle est plutôt collective et définie par la famille, la communauté et les liens avec la culture. Lorsqu’on combine ce modèle aux compétences techniques des sages-femmes, les résultats sur la santé de la communauté peuvent être transformateurs — à condition que les sages-femmes puissent exercer pleinement leur profession.
« En Ontario, des médecins ont été payés très cher pour se rendre dans les communautés en avion, vacciner les gens pendant une journée puis repartir ensuite », mentionne Cheryllee. « Il y a des sages-femmes dans certains de ces endroits qui sont habilitées à faire des injections et qui seraient très heureuses d’administrer des vaccins. Elles connaissent la communauté, elles pourraient se rendre au domicile des gens ou organiser un évènement à la salle communautaire. Mais on préfère dépenser beaucoup d’argent pour fournir des soins qui ne rejoindront peut-être pas autant de gens. »
« Les sages-femmes possèdent un savoir longitudinal sur la santé d’une communauté », affirme Cheryllee. « Elles savent qui a donné naissance à qui. Elles savent que certaines familles ont toujours des bébés qui se présentent par le siège. Ces connaissances existent chez les sages-femmes autochtones qui travaillent depuis longtemps au même endroit. Lorsque nous aidons les sages-femmes à exercer l’ensemble de leurs compétences, nous investissons dans la santé à long terme d’une communauté. »